Les haïtiens clandestins
Comme promis hier, la période de mon anniversaire (la veille, le jour-même et le lendemain) a été un peu bousculé…. Cela a commencé le mardi soir: en balade pour récupérer Lina à la sortie de mon boulot, celle-ci m’appelle; 6 haïtiens ne parlant pas un mot d’espagnol sont perdus au terminal de bus et les différents organisations tentant de les prendre en charge ne comprennent rien: ni comment ils sont arrivés là, ni où ils se dirigent, ni comment ils pourraient les aider. De plus ceux-ci semblent pris dans une échauffourée avec des passeurs vénézuéliens.
Donc je rassemble mes rudiments de créole (leur français est aussi approximatif) et je tente d’éclaircir la situation au téléphone.


Tatiana, la coloc de Lina, travaillant pour le Defensora del Pueblo, leur trouve un hébergement d’urgence au Centre de Mirgation.
Mais le lendemain, celle-ci me demande de l’accompagner pour approfondir sa connaissance de la situation, à savoir comment ils sont arrivés là, leurs situations, leurs besoins, et leur destination. Nous nous rendons donc en moto au Centro de Migracion. Où je constate que le groupe est constitué de 4 adultes, tous des hommes, et de 2 enfants de 6 et 7 ans!



Après plusieurs heures de questions, individuellement afin de recouper les infos. En résumé, ils se connaissent tous, l’un des enfants est le fils d’un d’entre-eux, Job, l’autre le fils d’un autre, Jacob, frère de Job. Les plus jeune Djimy et Youdelcy sont cousins, ils viennent tous de la ville des Gonaïves. Ils fuient la violence et l’insécurité principalement, la sœur étudiante de Youdelcy venant d’être assassinée par des voleurs à la sortie de la fac à Port-Au-Prince. Ils nous disent vouloir rejoindre le Mexique, Veracruz plus exactement où vis la soeur de l’un d’eux. Et donc, sortir de Cucuta en direction de Necocli, un petit port colombien non loin de la frontière panaméenne, où passent tous les haïtiens souhaitant montés vers le nord et les USA, mais venant généralement du Chili ou du Brésil où ils avaient déjà émigré après le tremblement de terre de 2010. Mais je l’avais déjà évoqué!
Après je suis assez perplexe, car ils ont fourni des versions différentes à Vidal, le chef de Lina, qui est …haïtien! Mais bon, n’ayant jamais été dans leur situation, j’imagine qu’ils n’ont pas trop envie de livrer tous leurs secrets (fonds disponibles, raisons du voyage, but….). Et je décide donc de les aider de mon mieux pour sortir de cette impasse!
Comment sont-ils arrivés là? Assez simplement: bus depuis les Gonaïves jusqu’à Santo Domingo, le tout avec un visa dominicain valide. Puis l’avion pour Caracas, avec un visa vénézuélien valide (et cher payé 700 USD à PAP). Enfin après une semaine dans cette ville, 15 heures de bus, et une traversée de la frontière par la trocha, en clandestin.




..Les défenseurs du peuple décident que nous nous rendions en urgence à la Migracion afin de tenter de régulariser leur entrée sur le territoire!




Nous y passerons 6 heures, à répéter les mêmes infos glanées auprès d’eux le matin, tout cela pour que l’immigration colombienne accepte de leur fournir un certificat de « sortie volontaire » leur laissant … 10 jours pour quitter le territoire colombien.












Le tout, et c’est ce qui m’inquiète le plus, c’est que je dois signer tous ces documents en tant que traducteur, avec mon numéro de cedula, mon empreinte et souvent mon numéro de téléphone! Parti simplement pour rendre service, je me retrouve officiellement embringué dans une histoire qui peut vite mal tourner pour moi, si ces haïtiens ne quittent pas le pays dans les 10 jours qui suivent. Surtout que les agents de l’immigration insistent bien auprès d’eux (donc de moi le traducteur) qu’ils ne doivent absolument pas promouvoir cette route d’entrée à leurs compatriotes, disant qu’on les avait bien reçus et beaucoup aidés ici, car l’institution ne veut pas voir leur périple devenir une route d’entrée d’haïtiens, ils ont déjà fort à faire avec les vénézuéliens!
J’offre ensuite, une fois ces longues procédures terminées, le déjeuner (à 16h30!!!) car ces derniers n’ont pas manger depuis lundi (et nous sommes mercredi 27).
Et nous retournons au centre d’hébergement, où ils obtiennent une chambre, dont, protocole oblige, ils ne peuvent sortir, sur la terrasse qu’une heure le matin et une le soir! Mais ils ont un lieu sécurisé pour dormir, reçoivent 3 repas gratuits et un kit d’hygiène.





Nous décidons de repasser les voir le lendemain, jeudi 28 donc, afin d’éclairer les possibilités de suite de leur voyage.


Ils veulent donc rejoindre Necocli: en gros il leur faut aller en Bus à Medellin, pour un coût de 90.000 pesos par tête (même les petits) en 17h de route, puis prendre un bus (heureusement du même terminal, pas besoin de traverser la capitale paisa) pour Necocli pour environs 100.000 pesos par personne (et 12 heures de voyage). Nous les exhortons à rester encore une nuit au refuge, se reposer, être nourris gratuitement, recharger leur téléphone mais surtout contacter leur entourage pour régler les histoires de fonds! Car ils avouent qu’ils ne leur restent que 24 USD en main: Vidal leur a donné un peu d’argent et moi je leur offre l’équivalent de 120 USD en liquide. Mais un frère de New York leur envoie 150 USD par transfert.
Le lendemain, nous nous retrouvons encore, mais cette fois pour les mettre dans le bus pour Medellin: je paie donc leurs 2 taxis pour le terminal de bus et Tatiana et moi y allons en moto! Après des adieux au centre (comme ils ne parlent pas français, c’est fou comme les colombiens, parfois fort méchants avec les migrants vénézuéliens, sont là tout heureux de nous aider… et d’immortaliser ces moments)!


Là l’achat des billets est complexe, car la compagnie nous emmène à la police, peu rassurée par le document de la Migracion. Celle-ci communique avec le chef du service de Cucuta, et confirme la régularité de la procédure. Nous pouvons donc leur payer le bus, avec un petit rabais obtenu par Tati!




Nous leur offrons également de l’eau et de la nourriture pour le voyage, alarmons les policières en charge de surveiller la salle d’attente, afin qu’ils ne ratent pas leur bus… et n’avons d’autres choix que de les abandonner à leur sort.


Mais ce n’est pas fini: rappelle-toi! La route Cucuta-Pamplona est fermée pour glissement de terrain depuis le jeudi soir! Leur bus devant passer là, ils m’appellent à 14h30 inquiets de ne pas avoir bouger (ils attendent depuis 11h et devaient se mettre en route à 13h30)…. Donc je recommence à flipper: que se passera-t’il si ils ne peuvent se déplacer: ils ont perdu leurs places au refuge…. Mais ils finiront par prendre la route et arriver à Medellin sans encombre, la policière que nous avions acquise à notre cause ayant passé le mot et la responsabilité au chauffeur du bus!
Maintenant, nous sommes une semaine plus tard (j’écris ce post le mercredi 3 novembre 2021), où en sont-ils? Ils sont bien arrivé à Necocli (à 2h du matin dimanche 31) et attendaient une opportunité de prendre un bateau! Je ne peux même pas dire pour où!! Soit le Panama, si ils sont chanceux, soit ils se rendent à Capurgana et de là devront traverser le Tapon du Darien, littéralement le bouchon du Darien, 6 jours de marche en pleine jungle sous la coupe des groupes narcos, diversiiés aussi dans le trafic d’êtres humains. J’ose espérer que c’est la première solution qui est possible!
Aux dernières nouvelles ils devaient prendre la mer ce mercredi 3 novembre à 7h……


A suivre!
Mais quelle aventure: encore une qui te permet de relativiser d’être né « sous une bonne étoile »: dans un pays en paix, te fournissant une éducation quasi gratuite, et un passeport accepté presque partout.
Félicitations à toi, à Lina et sa collègue.
Ou l’on voit que le problème des migrations n’est simple nulle part.
Et bonne chance à ces haïtiens !
Non, non je réfute, Lina n’a rien fait à part me refiler le bébé!! 😉
Bravo à vous pour cette action, et au moins toi tu as conscience que nous sommes chanceux.
Complexe cette affaire !!! J’espère qu’en ce 12 novembre ils sont au moins au Panama .
Difficile et triste problème des migrants quels qu’ils soient , félicitations à tous pour ce bel élan humanitaire et généreux …. !!!!