Détérioration de la situation sécuritaire

De nouveau (oui il y en a de temps en temps) un article sérieux et malheureusement sur un sujet inquiétant! Inquiétant et malheureusement complexe, car je ne me sens pas du tout expert pour ne pas raconter trop de bêtises. Car la « guerre civile » et la situation extrêmement tendue niveau sécuritaire ne date pas d’aujourd’hui (1964 pour le début des guérillas), et le nombre d’entités parties prenantes est immense: guérilleros, police, armée, narcos, bacrim, paramilitaires, milices d’auto-défenses, rend la situation peu lisible pour un novice comme moi.

Surtout que depuis mon arrivée en août 2015, on a d’abord été sur un moment d’euphorie, avec l’arrivée imminente de l’accord de Paix entre l’état et les FARC, et malgré quand même le vote NON au référendum sur la Paix et leurs signatures courant 2016. Ainsi que un fort attrait touristique pour le pays, faisant venir un public qui n’était pas forcément apte avant à imaginer la Colombie comme destination intéressante, et donc le développement de cette industrie, apportant un bol d’air dans certaines régions.

Et puis, et ceux qui en ont un petit peu discuté de cela avec moi depuis 2017, je témoignais généralement de mon impression que la situation se détériorait petit à petit…. même si de nouvelles régions semblaient se pacifier « en apparence » pour elles aussi, attirés des touristes.

Le phénomène le plus inquiétant, qui a toujours existé, mais a repris de plus belle en 2018, ce sont les assassinats de leaders sociaux et défenseurs des droits humains (défenseurs de minorités indigènes, de groupement paysans, écolos,…. de tout). D’ailleurs je n’ai jamais pris mes responsabilités de t’en parler ces derniers temps, toujours pour la même raison principale, très complexe pour moi d’être pertinent avec mes faibles connaissances de ce milieu et du pays, mais aussi parce que chaque jour appelait son lot de nouveaux meurtres, venant de régions et de situations totalement différentes. En tout 2018, ce sont 155 assassinats, quasiment tous évidemment non résolus, soit 45% de plus qu’en 2017 (qui totalisait déjà 106 morts de trop), puis en 2019 ce sont 250 assassinats de plus!

Enfin pour 2020, au 19 juillet, les comptes arrivaient à 37 assassinats confirmés et 49 autres cas à l’étude (genre savoir si ils étaient leaders sociaux, ou si ils ont réellement été assassinés???).

J’avoue que, en me relisant, cela suffit pour indiquer la dégradation flagrante de la situation sécuritaire, même si visiblement, tant que les occidentaux, résidents ou touristes ne sont pas réellement touchés ou affectés en personne, cela ne fait que peu de bruit dans les journaux occidentaux (même si certains l’abordent quand même: Le Monde, Libération, ou Le Soir en Belgique).

Mais ce n’est pas tout: le mois d’août, cette dernière semaine même, pourtant (ou parce que ) en confinement, a vu le « retour » des massacres, qui ont fait grand bruit! Je dis « retour » parce qu’en fait on en comptabilise déjà 33 pour 2020!

Alors il faut d’abord définir un massacre, comme l’entend l’ONU: « tout assassinat d’au moins trois personnes perpétré au même moment par le même auteur ou groupe d’auteurs. »

Cependant les cas de ces derniers jours font énormément de bruits car les victimes sont quasiment à chaque fois, des jeunes, d’adolescents à jeunes adultes en passant par des étudiants, et que les raisons sont extrêmement obscures!

Donc en ordre chronologique, en essayant de décrire précisément les faits et de tenter de les replacer dans le contaxte (là je le fais autant pour moi que pour vous) :

• 11 août, Llano Verde, Cali, 5 victimes: le plus « étrange » car habituellement ces massacres ont plutôt lieu en zone rurale. 5 jeunes d’un quartier pauvre du sud de la ville, quartier regroupant des déplacés et des victimes du conflit armé, âgés de 14 à 15, origine afro, retrouvés tués par balle ou égorgé pour l’un d’entre eux, dans un champ de cannes à sucre. Peu d’informations fiables quand au mobile, des hypothèses, toujours les mêmes, micro-trafics, narcotrafic, recrutement de jeunes par des groupes paramilitaires… et l’éternelle rumeur de participation de membres de la Police Nationale.

• 14 août, Samaniego, Nariño, 9 victimes: 8 jeunes étudiants regroupés, avec 50 autres, dans une maison de campagne pour fêter un anniversaire, abattus par un groupe d’hommes encapuchonnés armés. Et dans le même hameau, un autre jeune avait été assassiné quelques heures avant. Là non plus pas de grandes hypothèses, jusque le département est infestés de groupes paramilitaires (Clan del Golfo), de membres de l’ELN mais également de dissidents des FARC refusant la paix. Groupes qui semblent vouloir faire appliquer de manière stricte le confinement (des pamphlets ayant été distribués auparavant, menaçant les personnes rompant la quarantaine, ou fêtant et consommant de l’alcool).

• 21 août, zone rurale El Caracol, Arauca, 5 victimes: à l’autre bout du pays, 5 corps de civils découverts vendredi en fin de journée, abattus et attachés les mains dans le dos à des poteaux! Là encore peu d’hypothèse mais toujours les mêmes bases: zone de confrontation entre ELN, dissidents, FARC, narcotraficants et milices paramilitaires, avec en plus le fait que la zone est frontalière avec le Venezuela et donc encore plus propices aux trafics en tous genres. Un message de la dissidence FARC semble revendiqué le massacre, qui aurait eu lieu le mercredi, et accuse les 5 hommes d’être des voleurs de bétail.

• 21 août, secteur de La Guayacana, Tumaco, 6 victimes: et 2 disparus. Là peu de témoignages et peu d’infos à l’heure actuelle, mais même rengaine: zone d’influence de l’ELN, de la dissidence FARC mais également de groupes de trafiquants (Tumaco est un port, que j’ai visité) et de narcotrafiquants. Donc les mêmes hypothèses refont surface.

• 21 août, El Tambo, Cauca, 6 victimes: là encore peu de détails et exactement la même situation. Dissidences (oui avec un « s », il y en a plusieurs distinctes), ELN, et zone de production et trafic de drogue. Des témoignages affirment que c’est la dissidence FARC à l’origine, que les victimes auraient convoquées à une « réunion » puis séquestrées et assassinées par la « Segunda Marquetalia »

Au final ce décompte macabre arrive à 31 victimes en 10 jours, dont rien que 17 pour le seul jour maudit du 21 août 2020, dans des sites distants parfois de 2000 kilomètres!

Mais tu l’auras compris, comme moi, avec mes maigres explications, que ces massacres ont généralement lieu dans des zones rurales reculées, généralement liées à la culture de la coca, donc à la production et au trafic de drogue, que tentent de s’approprier diverses organisations, soit de la guérilla de l’ELN, soit des différents groupes de dissidences des FARC (qui sont très variées et non unies) qui doivent se financer et les groupes purement délinquants qui cherchent à contrôler les moyens de production et d’acheminement de la cocaïne (souvent proches des frontières ou de ports comme par hasard). Ajoutons à cela que ces zones sont globalement abandonnées par l’état, et que ces groupes souhaitent y voir régner le calme, et jouent donc le rôle de « police » pour faire respecter leur loi, ou en ce moment le « confinement »!

Ce que confirme la carte des emplacements de massacres (ici décomptés comme 45, peut-être une autre définition).

En tout cas, tout cela est fort inquiétant pour l’avenir proche de mon pays d’accueil, surtout qu’il ne va pas falloir tarder à ajouter à ces événements, les conséquences de la crise économique due à la pandémie, et des soubresauts violents que cela risque d’engendrer dans les mois à venir, car la population n’en peut plus, et les mécanismes d’aides arrivent à bout de souffle!

En espérant que je me trompe….